Edition 2019

Le 5 septembre 2019 nous ouvrons les portes de notre usine très particulière, au 10 rue Alice Domon et Léonie Duquet, à un groupe d’artistes.  Eux, ils acceptent d’entrer et de s’assoir avec nous autour d’une grande table. Nous nous regardons, amusés, curieux. Ce qui va se passer n’est pas clair.

Dans cette usine nous construisons des concepts et des théories sur le Cosmos et sur les objets qui le composent. Nous le faisons avec des nouveaux télescopes, avec des instruments non-conventionnels. Au lieu de la lumière visible, nous utilisons des ondes gravitationnelles, des rayons cosmiques, des particules éphémères comme les neutrinos, ou les rayons gamma produit par des phénomènes violents. Ceci compose une jeune branche de l’astronomie, pleine de promesses et de surprises: les astroparticules.  Dans notre usine nous étudions aussi l’Univers comme un Tout, ses origines, son destin, sa forme. Ses parties nous renseignent sur le Tout, le Tout sur ses parties.

Eux, les artistes, sont des jeunes diplômés d’une école d’art de Reims. Comme les astroparticules, ils viennent de commencer, comme les astroparticules ils sont pleins de promesses et de surprises.

Nous restons assis à cette grande table pendant quelques mois. Nous montrons aux artistes nos objets, nos symboles, nos concepts, nos paradigmes et nos instruments. Nos yeux mécaniques et  électroniques. Eux, ils regardent avec leurs curieux, brillants et prennent des notes sur des cahiers noirs.

Nos objets sont inaccessibles et éphémères, souvent incompréhensibles pour la logique et pour l’intuition : trous noirs, quasars, un fond diffus cosmologique. Impossible de les toucher, difficile d’en imaginer une application pratique. Difficile même de les imaginer. Et malgré cela, ils existent.

Après quelques mois, nos invités, les artistes, ont trouvé des fils: la lumière, le temps, la gravité, tourner qui est une variation de tomber, la matière. Nous, les travailleurs de l’Usine, nous ne sommes pas du tout sûrs que « leur » matière et « leur » lumière soient « notre » matière et « notre » lumière. Le malentendu nous guette avec son regard narquois. Mais nous gardons la  confiance, car nous avons compris depuis longtemps que le Livre n’est pas écrit seulement en langage mathématique.

Nous quittons cette table avec la sensation claire que, en unissant tous nos yeux, nous avons fait un pas en avant vers la compréhension du Grand Mystère. Et pourtant, comme dans la plus classique des histoires zen, les questions demeurent plus nombreuses qu’avant.

Projet financé par la Fondation Jean-François et Marie-Laure de Clermont-Tonnerre, le Labex UnivEarths et le Fonds de dotation RFPU.